Né en 1977 à Le Mans.
Vit et travaille à Paris. 

« Le vide rempli de son plein c’est le plein »
Ghérasim Luca

Les processus et systèmes sculpturaux mis en place par Benjamin Sabatier témoignent d’une littéralité assumée, où se dévoile d’emblée, sous couvert d’apparente simplicité, les ressorts formels de l’oeuvre. L’angoissante question du « comment ça marche, comment ça tient ? » se résout ici dans une formule tautologique plus ou moins réelle mais toujours crédible laissant les logiques de construction apparaître en tant que telles, à la fois cause et résultat. Cette extrême lisibilité des procédés de fabrication, ainsi que l’usage récurrent de matériaux bruts et facilement disponibles – brique, étai, pot de peinture, sac de ciment, carton, scotch, etc. –, tendent à se démarquer du geste héroïque du créateur inspiré au profit d’une esthétique du chantier qui semble rendre possible et accessible la reproduction des oeuvres par tout à chacun. En suggérant de la sorte au spectateur de devenir à son tour producteur, la démarche de Benjamin Sabatier s’envisage à l’aune des théories alternatives et émancipatrices du do it yourself. Cette prégnance de la forme – sa « fulgurance » en quelque sorte – révèle en fin de compte le potentiel démocratique et politique d’un travail polysémique jouant des évidences et des paradoxes, agrégat de références à l’histoire de l’art moderne, aux utopies sociales, aux thèses de Walter Benjamin et aux techniques de marchandising contemporaines.
Si elles restent traversées par les mêmes enjeux, les oeuvres récentes de Benjamin Sabatier semblent marquées par une radicalité nouvelle, une plus grande nudité et rugosité des formes. Ce sentiment s’explique sans doute largement par l’utilisation du béton et la pesanteur crue que ce matériau apporte. L’ensemble de pièces produites à l’occasion de sa première exposition solo à la galerie Jousse Entreprise est composé de modules identiques, casiers en bois assemblés selon différents agencements évoquant du mobilier de rangement. Certains d’entre eux sont occupés par des tiroirs en béton dont des répliques sont également disposées au sol, comme si elles venaient d’être retirées ou étaient en passe d’être remisées. Aussi absurde que burlesque, leur usage se révèle bien peu commode : leur capacité de stockage est nulle et leur ergonomie, à première vue étudiée pour en faciliter le transport, se retrouve lestée par le poids d’un matériau qui les rend péniblement déplaçables. Second constat : leur moulage a directement été effectué dans les boxs leur faisant office de réceptacles, comme en témoignent les empreintes laissées par les nervures du bois. Ce procédé renvoie à certaines techniques employées dans le bâtiment telles que le béton moulé ou brut de décoffrage dont la rudesse du traitement, dénué de ponçage et de revêtement, est généralement associée au Brutalisme. En vogue dans les années 1950-1970 et inspiré par les thèses de Le Corbusier et ses réalisations à Marseille ou Chandigarh, ce mouvement radical initié par les architectes anglais Alison et Peter Smithson accordait un réel crédit esthétique à la matérialité abrupte et « naturelle » du béton – mais aussi du verre, de la brique ou de l’acier – et se voulait habité par une certaine idéologie de progrès social. Comble de l’ironie, cette terminologie deviendra avec le temps synonyme, dans l’imaginaire collectif, de laideur et de violence socioéconomique... Nombres des ingrédients animant la pratique de Benjamin Sabatier sont ici rejoués, l’univers du chantier, jusque-là souvent réduit à son vocabulaire et ses matériaux, frayant désormais, non sans humour, avec la grande histoire de l’architecture. On peut d’ailleurs voir dans cette série de meubles modulaires un clin d’oeil malicieux aux unités d’habitation de Le Corbusier et à la célèbre illustration montrant une main encastrant – logeant littéralement – une maquette d’un de ces appartements-types dans l’ossature du bâtiment destiné à l’accueillir.
A travers ce geste inaugural consistant par remplissage à matérialiser l’invisible, à réaliser l’empreinte – cette ressemblance par contact, pour reprendre l’expression de Georges Didi-Huberman – d’un vide, Benjamin Sabatier s’empare d’un procédé de reproduction intimement lié à la mémoire, le tiroir, en tant qu’indice d’une forme préexistante, apparaissant dès lors comme l’image aussi parfaite que paradoxale d’un monument commémoratif, d’un acte de conservation ou d’une cellule de stockage d’informations.
Texte de Raphaël Brunel